Les travaux 2011 de votre think tank soulignent le glissement du rôle du directeur achats. Pour quelles raisons objectives observe-t-on, selon vous, cette transformation ?

Au cours de nos réflexions, nous avons identifié deux raisons majeures à ce glissement. Premièrement, les leviers classiques centrés sur la négociation s’érodent sous l’effet de la professionnalisation des achats, de la mise en œuvre des bonnes pratiques, de la globalisation du marché fournisseur et de l’accroissement du montant de dépense couvert par les achats. Autant de progrès dont les achats peuvent être fiers.
Ensuite, la mise en place de processus industrialisés et instrumentés structurant l’ensemble des interventions des acteurs de la dépense (prescripteur, demandeur, acheteur, contrôleur de gestion et comptable) réduit considérablement l’effort dédié par la direction des Achats à la stricte mise en œuvre des processus achats.
Ce double effet combiné induit un déplacement du potentiel de création de valeur vers les activités amont des achats et dégage du temps aux acheteurs pour porter l’effort sur ces nouveaux champs d’intervention. Il ressort que les phases dans lesquels les achats doivent s’impliquer nécessitent un positionnement différent puisqu‘ils ont à faire à d’autres interlocuteurs, sur des projets plus proche des fondamentaux du métier de l’entreprise.
Ce repositionnement demande de nouvelles compétences et une organisation adaptée, certainement stratifiée, plus proche de ses partenaires, et probablement encore plus essaimée ou capable de se projeter sur le terrain. Les directions d’achats doivent donc évoluer pour relever ce nouveau défi avec la même efficacité que celle dont elles ont fait preuve jusqu’à présent. Nous entrons dans une nouvelle ère pour les achats et le directeur des achats, en tant que manager, doit réussir ce virage.

Quels sont les attributs, périmètre et responsabilités de ce "nouveau" directeur ?

L’ère de construction qui s’achève a vu se révéler des directeurs d’achats bâtisseurs de la fonction et conquérants. Ils ont, à l’époque, reçu une mission aussi compliquée qu’elle est simple à exprimer : s’approprier les marges des fournisseurs.
Mais la confiscation des bénéfices a des effets pervers : l'appauvrissement de la capacité d’innovation des fournisseurs, jusqu’à leur disparition parfois, la délocalisation avec son train de risques dans les pays à bas coûts et une méfiance des fournisseurs clés.
Les fournisseurs de leur côté se sont organisés face aux achats professionnalisés. Ils se sont concentrés et ont augmenté leur poids relatif passant, pour certains, dans le camp des fournisseurs stratégiques.
Or les fournisseurs stratégiques peuvent de moins en moins être considérés comme une entité complètement externe à l’entreprise. Au même titre qu’il paraît évident que dans un environnement compétitif la cohésion au sein de l’entreprise la rend plus robuste, les liens industriels, financiers et finalement humains qui lient les partenaires sont d’autant plus générateurs de bénéfices mutuels qu’ils sont forts. C’est ce que nous avons rassemblé sous le vocable de logique d’équipage.
Le périmètre de responsabilité du nouveau directeur des achats est de développer ce réseau de partenaires. La direction des achats doit d’abord mettre en place, avec l’aide des autres parties prenantes, les moyens de piloter cet écosystème, tant sur le plan économique que sur celui des risques. Elle doit organiser la collaboration à tous les niveaux (top management, management intermédiaire et opérationnels), animer des projets d’optimisation transverse impliquant les fournisseurs au même titre que les départements internes de l’entreprise. Ceci pour amener l’ensemble à générer plus de performances.
Ces chantiers, d’approche écosystémique, vont constituer à notre sens la majorité des enjeux pour les directions d’achats dans les années à venir.
Nous avons également souligné l’importance pour les achats de ne pas oublier les fondamentaux et de rester irréprochables sur ce qui est leur mission actuelle.

Vous faites le parallèle avec l'évolution, récente, de la fonction du DSI. Transformation qui s'accélère encore depuis que les tabous du "make or buy" ont sauté avec le SaaS et le Cloud computing. Pour prolonger l'analogie, pensez-vous que les achats connaîtront cette grande vague d'externalisation des achats ? Et à quelles conditions ?

Les mêmes causes ayant souvent les mêmes effets, la tendance est la même et la cible probablement assez proche. Sous la pression de la recherche d’excellence opérationnelle, la DSI a externalisé ses activités très industrialisées. Elle a également confié celles où la taille compte pour générer des économies d’éch

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elle sur le processus industriel, mais aussi pour entretenir par l’investissement un panel d’expertises pointues et une veille efficace sur un marché en mutation rapide et permanente. Les achats n’échapperont pas à la règle, avec des réponses différentes en fonction des familles d’achats et de la situation de l’entreprise sur son marché. Dès que l’acte d’achats ne fait plus partie des savoir faire engendrant un avantage concurrentiel, il convient de le confier à des spécialistes. Les familles simples et à faible enjeu sont d’ores et déjà externalisées, parfois simplement sur le site marchand des fournisseurs ou sur une place de marché. Les prix faciaux n’étant plus l’enjeu sur ces typologies d’achats, l’abaissement du coût de possession, et donc le traitement de l’approvisionnement au sens large, devient central.
Mais la démarche gagne des familles plus cœur de métier, historiquement exclues des externalisations. A mesure que les risques sont maitrisés et que les produit ou services acquis se banalisent, la question de l’externalisation se pose.
Le SaaS et le Cloud, comme les progiciels, par une standardisation liée au produit permettent de mettre fin à la prorogation de pratiques non standard sans valeur ajoutée. Effet d’aubaine, l’externalisation de famille sans enjeu permet de converger plus rapidement vers un standard de traitement plus efficace.
Le DSI est devenu Directeur de l’Information (CIO). Il est garant de la capacité du système d’information à traiter et capitaliser la quantité croissante d’information utilisée par l’Entreprise, à la transformer rapidement en avantage concurrentiel et enfin à accompagner la stratégie de l’entreprise. Tout cela au meilleur coût bien entendu. La fonction Achats est la garante de l’alignement stratégique de l’écosystème fournisseur et doit développer la capacité de celui-ci à accompagner durablement l’Entreprise.

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